Sujet de l’édition 2018

Paris, 2016. Sous l’effet des grands progrès technologiques et informatiques qui ont jalonné les dix dernières années, la société a connu de profondes et substantielles métamorphoses. Les robots, autrefois peu performants, ont été améliorés jusqu’à pouvoir assurer les mêmes tâches que les humains. Une nouvelle catégorie de robots aux traits humains a vu le jour, les androïdes. Particulièrement capables pour les travaux de haute précision dans lesquels ils excellent, ces  androïdes se sont vu confier des emplois de service à la personne jusqu’à lors réservés aux humains, parmi lesquels la garde d’enfants.

Le marché français de la mise à disposition d’androïdes, dont l’entreprise Robotdoubtfire est un acteur prévalent, a connu un gigantesque essor. L’entreprise Robotdoubtfire communiquant abondamment sur le strict code de conduite qu’elle impose à ses robots, sous la forme de trois lois fondamentales de la robotique qui placent la protection des membres des familles clientes au centre des attributions de leurs androïdes. Pour se différencier de ses concurrents lors de la promotion de ses services, la société met notamment en avant les capacités d’apprentissage dynamique et de développement personnel de l’androïde, qui peut ainsi évoluer au contact du foyer dans lequel il est placé et s’adapter à ses besoins précis.

A ce titre et pour se fournir en main d’œuvre robotique capable d’assurer les tâches qu’elle escompte proposer à ses clients, la société Robotdoubtfire a convenu d’un contrat de mise à disposition d’androïde avec la société Androdispo le 15 octobre 2016. Le contrat passé entre les deux sociétés comporte notamment une clause qui permet à la société Robotdoubtfire d’apprécier de l’opportunité du débranchement d’un androïde en cas de comportement anormal ou dangereux.

 

Le 30 octobre 2016, la société Robotdoubtfire conclut une convention au pair avec la famille Genty ayant pour objet de lui proposer les services de l’androïde Eve, qui devra s’occuper, entre autres tâches ménagères, de la garde du turbulent Kevin, trésor chéri du couple. En contrepartie, il est prévu dans le contrat que le robot soit logé et entretenu, et que la famille doive s’en occuper diligemment afin de prévenir tout dommage substantiel qui pourrait nuire à son bon fonctionnement.

Cinq années durant, Eve tisse des liens particuliers au contact de la famille dans laquelle elle est placée et particulièrement avec le petit garçon de huit ans pour lequel elle multiplie les attentions, à l’image de ces petits-déjeuners, qu’elle lui prépare chaque matin sans faillir où de ces longues soirées passées à lui faire apprendre ses leçons. Dans les moments où elle n’est pas affectée à l’une des nombreuses tâches domestiques qui rythment son quotidien, Eve aime à se connecter sur un forum de discussion pour androïdes où elle échange avec Beta et Gamma, tous deux employés de la même société, et se risque parfois à des mots d’esprits pour lesquels elle a acquis une certaine renommée. Intégrée dans tous les aspects de sa vie, appréciée de ses pairs comme des habitants du foyer dans lequel elle est placée, l’unité Eve fait la fierté de l’entreprise Robotdoubtfire qui l’a érigée en figure de réussite et n’hésite pas à la citer en exemple du succès de son modèle commercial.

Le 8 novembre 2021, la famille décide de réunir les amis de Kevin pour lui organiser une splendide fête d’anniversaire. Au menu des réjouissances comptent de nombreuses activités, à l’image de la piñata suspendue au centre de la pièce ou des jeux de société posés sur un coin de la table du salon, et même la venue de Bob, clown jongleur pour égayer la fête de ses grotesques pitreries. C’était sans compter sur un incident venu tempérer l’enthousiasme général.

La piñata se révèle en effet être source de conflits, les enfants n’arrivant pas à se mettre d’accord pour choisir celui qui lui assénera le premier coup signifiant l’ouverture des festivités. Kevin pense que l’honneur doit lui revenir puisque c’est aujourd’hui son anniversaire, mais Donald ne l’entend pas de cette oreille et compte bien mettre son âge plus avancé au service de ses prétentions. À la suite d’échanges houleux, Donald, excédé de n’avoir su obtenir gain de cause, esquisse un geste malheureux en direction de son camarade Kevin. Aussitôt, Eve se dresse entre les deux enfants et saisit sans ménagement Donald au poignet pour désamorcer la situation. Pris de panique, l’enfant ne peut retenir ses larmes qui coulent bientôt en abondantes rivières, creusant les sillons de son visage. Alertés, ses parents viennent alors le réconforter, avant d’aller immédiatement s’entretenir avec la famille de Kevin du comportement d’Eve qu’ils jugent inacceptable. En parallèle, le système de rapports d’Eve envoie automatiquement un compte-rendu de la situation à l’entreprise Robotdoubtfire du fait de son caractère hautement irrégulier au regard du code de conduite qui lui est imposé.

Ayant pris connaissance de cet incident, la société Robotdoubtfire décide, en dépit des protestations de la famille Genty, de mettre en jeu la clause du contrat de mise à disposition qu’elle a conclue avec la société Androdispo et de débrancher Eve. Un androïde neuf de remplacement est par ailleurs aussitôt proposé à la famille pour pallier au désordre causé au sein de la maisonnée par l’absence d’Eve.

La famille Genty décide alors de déposer une plainte, avec constitution de partie civile, afin de sauver Eve pour laquelle elle s’est prise d’affection au fil des années. À ses yeux, la somme des expériences que l’androïde a vécue à son contact est irremplaçable, lui permettant de forger de réel liens avec son entourage immédiat et le rendant unique par rapport à un robot neuf.

Précisément, la famille Genty prétend que le débranchement de l’androïde équivaut à un meurtre au sens de l’article 221-1 du Code Pénal, puisqu’il a acquis au fil du temps une personnalité propre et distinctive. Dans un arrêt en date du 7 juillet 2023, la cour d’assises de Paris acquitte l’accusé. Le couple Genty décide donc d’interjeter Appel, sans toutefois rencontrer plus de succès. Après une longue procédure, la Cour de Cassation dans son arrêt en date du 9 décembre 2027 finit par rejeter le pourvoi formé contre l’arrêt de la Cour d’appel.

Devant ce refus des juridictions françaises de faire droit à ses prétentions, la famille Genty décide alors de saisir la Cour Européenne des Droits de l’Homme et de faire valoir ses droits face au représentant de l’État français.

 

Documents annexes

Extrait arrêt de rejet  de la Cour de Cassation

Extrait Convention GENTY – ROBOTDOUBTFIRE

Extrait Convention ANDRODISPO – ROBOTDOUBTFIRE